– Bonjour
– Bonjour, d’où venez-vous ?
– Nous venons de Belgique en vélo. Belgique, Turquie, en vélo.
– Pfiouuu, masha’allah. Bienvenue, bienvenue. Où allez-vous ?
– Depuis la Belgique, 4 mois, 5000 km.
– Pfiouuu, masha’allah. Mais où allez-vous ?
– Aaah. Malatya, Mardin, Lac de Van, Iran ou Géorgie.
– Et où logez-vous?
– Euhhhh…
– Où logez-vous?
– Aaah. Tente, tente.
– Vous êtes frère et soeur ?
– Non non, mariés.
– Qui s’occupe de vos enfants ?
– Vélos sans moteur, 2 jambes, 2 moteurs.
– Bébé ?
– Aaaah. Non non, demain, demain, insh’allah.
– Vous avez besoin de quelque chose ?
– La Turquie c’est super.
– Hehe, oui oui ! La Belgique c’est super ?
– Oui oui, la Belgique c’est super. La Belgique est petite. La Turquie est grande. La Turquie, le pays, les gens, la nourriture c’est super.
– Thé ? Café ? Pain ? Eau ?
Voici comment commencent 90% des conversations que l’on a eu en Turquie avec des gens locaux que ce soit sur la route, dans un magasin, ou au sortir de la tente, entre 5 et 15 fois par jour, et en particulier sur les 10 derniers jours de vélo qui nous ont fait relier la Cappadoce à Nemrut Daği (le “ğ” est décidément impossible à prononcer, un espèce de “h” aspiré, et le “ı” n’est pas un “i” mais un “œ”…). La conversation peut en rester là quand on remplit simplement nos gourdes d’eau au robinet de la mosquée ou à l’abreuvoir/source du village, et qu’on indique d’un ”Yallah” qu’on souhaite continuer la route, ou durer une demi-heure si on accepte un thé, si on sort le smartphone et Google Traductions, et si on commence à discuter du Kurdistan, de la ménopause, des animaux de la ferme ou de la famille, voire même signifier la fin de la journée de vélo quand en moins de 5 min on se retrouve devant une nappe ou un tapis de sol abondant de nourriture. Le repas typique est le ’déjeuner turc’ qui comprend pain tout chaud, olives, tomates, concombres, œufs, fromage, yoghurt, ayran (yoghurt dilué et salé, à boire), tahin, mélasse, piments, et parfois même des gözleme, ces crêpes salées (déclinées aux épinards, fromage, ou patates) dont on vous parlait précédemment, mais toujours aussi délicieuses.
Au cours des 10 derniers jours, voilà le nouveau lot de faits divers (plus ou moins remarquables) qu’on a à cœur de partager:
– Après qu’Amy nous ait quitté (à 5h30, pour la plus grande joie de Rhéa, le fait de se lever tôt, pas le départ hein…) pour se rendre à l’aéroport, on a récupéré nos vélos auprès de l’hôtel où on les avait laissés. Ramadan oblige, tout le monde roupillait après avoir déjeuné avant l’aurore, mais, ouf, toutes les portes étaient ouvertes. Tous les chiens de la rue étaient par contre éveillés, en forme, et d’humeur jouette car ils avaient un malin plaisir à s’en aller avec nos affaires dès qu’on avait le dos tourné. Un d’eux nous aimait tellement qu’il nous à suivi pendant 20 km. Moi je m’imaginais déjà tous les scénarios (et problèmes) que la présence de ce chien allait causer. Rhea, elle, cachait bien son jeu, car elle m’a avoué par après qu’elle aurait été heureuse que cette présence canine se soit prolongée.
– J’ai été embauché par la fondation polaire internationale pour aller travailler à la station Princesse Elisabeth enAntarctique, et aider au suivi de leurs projets pendant le reste de l’année, le rêve ! Woop woop ! Par contre, je suis directement réquisitionné pour la saison complète (Novembre-Février, l’été austral, 108 jours), ça va être costaud ! Et je dois être rentré pour le 1er septembre pour les préparatifs, ce qui me/nous force à écourter un peu le voyage. On attend encore le résultat de la demande de bourse de post-doctorat de Rhea avant de faire le point sur une modification de l’itinéraire, mais la Mongolie semble compromise…
– On a croisé beaucoup, beaucoup, beaucoup de moutons, chèvres, poules, vaches, chevaux, ânes, oies, canards, bergers et chien de bergers. Ma très chère belle-sœur, Amy, diététicienne et experte en alimentation durable (qui vient d’ailleurs de se lancer comme indépendante : www.zeste-dietiste.be, ne vous en faites pas elle est bilingue ;)) m’a souvent répété qu’à l’échelle mondiale, ça reste l’agriculture de type familiale qui nourrit majoritairement les populations. On en prend pleinement la mesure. La plupart des gens qui nous ont ainsi offert une tasse de thé, un repas, ou même hébergé, étaient fermier.e.s, et possédaient généralement 3-4 vaches, une vingtaine de moutons et une menue basse-cour. Autant dire que les produits laitiers que l’on mangeait étaient très locaux. Rhéa a d’ailleurs eu un soir une formation accélérée sur la séparation du lait et de la crème en vue de fabriquer fromage et beurre. Tout ceci en habits traditionnels. Le style est indiscutable, mais l’aspect fonctionnel par contre… Ce même soir, la fille des fermiers, handicapée mentale, était d’ailleurs assez fascinée par Rhea. Par sa chevelure blonde pensions-nous. À tort, ou ou partie, car à un moment donné elle a pris les deux pastèques que forme sa poitrine, et puis pointé un doigt vers les mandarines de Rhea avec une moue interrogatrice ! On a alors tous explosé de rire, père, mère et fils compris, tant la situation était absurde, pour ne pas dire gênante.
– Arrivés dans la bourgade de Sarız, Rhea est véhément appelée par une personne âgée depuis la fenêtre de son appartement, et qui lui dit de monter, tandis que j’achetais des fruits secs à un marchand ambulant. 10 min, 20 min passent… je ne sais pas si je dois commencer à m’inquiéter. Rhea apparaît alors à la fenêtre et me dit de monter également sans me donner davantage de détails. Je la découvre alors devant une mer de papiers administratifs, entourés de la dame en question et de son fils. Elle m’explique alors que le mari de la dame à travaillé jadis 9 mois chez Renault en France, est récemment décédé de la covid, qu’elle a droit en tant que veuve à une pension française (30 eur) qu’on lui refuse pour une raison qu’elle ne comprend pas… car tous les papiers sont en français. Renseignements pris, il manque simplement un papier de son administration communale. J’essaie de trouver ce document en ligne mais abandonne après 20 min (très en colère au vu de la complexité des procédures et du tout au digital). Reste le bon vieux téléphone… Après 10 minutes à patienter (mais bon, entre-temps on s’est fait inonder de thé et de biscuits), une opératrice de l’assurance retraite Ile-de-France effectue la démarche nécessaire afin de renvoyer le formulaire manquant. Problème réglé, et à en croire l’intensité de leurs remerciements, une sacrée épine en dehors de leur pied. Il faut dire que 30 € représentent 300 TL, assez que pour faire ses courses au marché pendant deux semaines !
– Au croisement de 2 routes, au milieu des champs, un groupe d’hommes s’affairaient autour de 2 tracteurs, et, à la vue de notre arrivée, nous ont hélés et ont engagé la conversation. Pendant que Rhea leur expliquait qu’elle n’avait pas d’enfants, que la ménopause était à 50 ans (et non 40 comme eux l’affirmaient), et qu’elle ne voulait pas essayer (pour le plaisir) de tirer à l’arme à feu, j’ai reçu un cours de conduite de tracteur. J’étais fier comme un paon au volant de mon New Holland, à transporter un big bag de patates. Qui sait, peut-être que ça se rapproche de la conduite d’une motoneige ou d’une dameuse !
– Depuis les chiens autour de la tente en Sardaigne, et les sangliers en Grèce, nous n’avons plus eu de visites nocturnes indésirables. Pourtant, on nous met souvent en garde: sangliers, loups, ours, serpents… un gentil fermier un tantinet protecteur est même venu un soir près de notre tente avec son fusil (vision assez peu rassurante), mais après qu’il ait tiré un coup de feu en l’air, il nous a dit, grand sourire, pour nous rassurer: “s’il y avait quelque chose dans le coin, eh ben c’est parti “.
Et pour terminer, on est arrivé au sommet de Nemrut Dağı (Mont Nemrut). Quelle montée, on était sur notre plus petite vitesse à zigzaguer du début à la fin. Mais le spectacle en valait franchement la peine. Ce mont marque la frontière avec le Kurdistan et les plaines du Tigre et de L’Euphrate, et, à son sommet, un roi (un peu fou?) y a construit un tumulus (mais la tombe n’a toujours pas été retrouvée) et de colossales statues du panthéon grec. Tellement émerveillée par la majestuosité du lieu et des statues, et avec personne aux alentours, Rhea a même franchi le cordon de sécurité pour poser entre les statues. Ce qui s’annonçait être le cliché de l’année n’est malheureusement plus, car un garde eut tôt fait de surgir d’un container-baraque de chantier délabré pour gentiment nous demander de la supprimer. Rhea était très gênée, elle a même tenté de lui expliquer que d’habitude elle ne fait jamais ça, que ses parents ne l’ont pas éduquée comme ça, patati patata. Lui s’en foutait et ne lui en tenait pas du tout rigueur car il eut aussitôt fait de nous inviter pour un thé et des biscuits dans sa cahute, content d’avoir de la visite en cette période de pandémie.
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