La Mer Noire et l’Ukraine

Notre plan de retour vers l’Europe continentale consistait à retourner vers la cote avec un train depuis Tbilisi et puis à traverser la mer Noire avec un ferry depuis Batumi en Géorgie jusque Burgas en Bulgarie. Problème, ce sont les vacances, il fait torride, les citadin.e.s veulent alleraà la côte, et tous les tickets de train pour ce jour-la sont sold out (d’accord, on s’y prend la veille, mais bon…). Même en nous déplaçant jusqu’à la gare pour vérifier, on n’obtient qu’une vague promesse de tickets de dernière minute si on se présente 3 heures à l’avance (c’est-à-dire 7h du matin…). Vu qu’il n’y a qu’un ferry par semaine, on a quand même été se renseigner à la gare des bus adjacente pour une solution de rechange. Des lignes de bus fixes, ça n’existe (quasi) pas ici. Seules roulent des marshutkas, sortes de minibus sillonnant les villes et villages du pays… avec un horaire complètement imprévisible, peu rassurant donc. On obtient une autre vague promesse d’un chauffeur qui partirait le lendemain matin vers 6h30, ce qui signifierait devoir potentiellement préférer la certitude de l’inconfort de la ‘route’ (et des vélos sur la galerie du toit), à l’incertitude d’un ticket de train. On n’est donc qu’à moitié rassuré ce soir-la quand on va dormir. Peut-être est-ce une raison pour laquelle on postpose souvent ce genre de démarches à la veille : il y a toujours des complications et des soucis, alors autant les limiter dans le temps ! Et puis, on hésite encore un peu à propos de l’itinéraire à travers les Balkans, et puis l’Ukraine et la Roumanie ont aussi l’air cool, et puis il y a un ferry qui part le surlendemain pour l’Ukraine, et il y a encore des billets de train pour aller jusqu’au port de départ, et les tickets sont moins chers que ceux pour la Bulgarie, et ça voudrait dire pouvoir faire la grasse matinée le lendemain… tadaaam, à 1h30 du matin, on dégaine la carte de crédit, ciao la Bulgarie, nous irons en Ukraine ! Heureux de ces nouvelles perspectives certaines, on n’en dormit que mieux !

Sur la confirmation de réservation des tickets du ferry, il était indiqué que le bateau partait mercredi à 5h du matin, et qu’il fallait se présenter avant cela à l’agence. Notre train arrivant le lundi soir à 23h, on avait prévu de dormir une courte nuit sur la plage, de patienter une journée dans cette ville portuaire (et d’y manger un dernier kachapuri et des khinkalis) et puis de se présenter le mardi soir à l’agence et au bateau. Sauf que les horaires de départs de ferry sont à prendre avec un grain de sel. L’agence a en effet eu tôt fait de nous dire de revenir le mercredi matin à 9h, car le bateau ne partira pas avant cela. Nous voilà donc embarqués pour une 2e nuit sur la plage (très belle ceci dit, hormis les très nombreux déchets rejetés par la mer), avec un réveil programme de bon heure pour ne pas rater le bateau. À 9h à l’agence, on nous dit patienter jusque 11h, puis de revenir à 17h car le bateau ne partira pas avant 19h. Pénible et frustrant que de n’avoir pour seule information qu’un perpétuel ‘revenez plus tard’, et comme seule arme sa patience. Là ou ‘chez nous’ on trouverait ça un manque de respect total, les chauffeurs poids lourds un peu plus habitués nous informent de la normalité de la chose avec un ‘this is soviet administration’. Deux autres passagers (non-chauffeurs poids lourd) arrivent eux à 17h car ils avaient reçu un sms de l’agence les prévenant du retard… on tombe des nues. L’un deux est un grand voyageur nous racontera-t-il tout en patientant. Hongrois à la retraite, ancien employé d’une compagnie aérienne, sa grande passion est de… prendre l’avion. Il était ainsi très fier de nous dire qu’il avait déjà visité tous les pays du monde, qu’il avait même créé un site web pour documenter tous les vols qu’il a pris dans sa vie et en extraire des statistiques intéressantes, telles que les plus de 2500 vols et 54 semaines de temps cumulé passé dans un avion, qu’il était 4 jours plus jeunes qu’il n’en avait l’air à force d’avoir fait le tour du monde dans le bon sens, que le fait qu’une année il a fêté deux fois le nouvel an en prenant un vol (très rare selon lui) allant des îles Tonga jusque Hawaï, et qu’il allait bientôt aller en Antarctique (normalement interdit au tourisme), le seul continent où il n’avait encore jamais mis les pieds, en se joignant a une équipe de scientifiques. On avait honnêtement beaucoup de mal à concevoir une telle passion et un tel comportement, surtout a l’heure d’aujourd’hui, d’autant plus quand il conclut son explication d’un « je suis plutôt pour la quantité des voyages que pour leur qualité, parfois je ne reste qu’une ou deux journées a en droit, pour voir comment c’est, et puis je pars ailleurs ». Sa présence et celle de son compagnon de voyage nous furent néanmoins salvatrices. Avec nos vélos, nous allions prendre la dernière navette jusqu’au bateau, et eux l’avant-dernière. Qu’elle ne fut pas notre surprise quand nous les vîmes revenir tout penauds car leur (faux) test covid hongrois datait d’un jour trop tôt par rapport aux 72h de délai maximal avant l’embarquement. Qu’à cela ne tienne, les voila de retour, le temps d’ouvrir leur laptop, photoshop, et de modifier la date de leur test avant de le réimprimer à l’agence (qui elle s’en foutait, ce sont les gardes frontières qui posaient problème). Sauf qu’ils revinrent une deuxième fois, encore plus penauds… la date de leur (faux) tests hongrois tombait après leur date d’entrée en Géorgie. Impossible donc, perspicaces les douaniers ! Ils devront donc patienter une semaine pour le prochain bateau, et présenter un test géorgien en bonne et due forme sous peine d’une amende salée ! Leurs déboires nous auront permis de nous assurer en dernière minute (hum hum, on vous passe les détails) que la date sur nos tests covid géorgiens était bien la bonne. On fut très (très) soulagés quand, après longue examination de nos documents, on reçut notre cachet de sortie du pays et mis pied sur le bateau… Evidemment, quand les touristes précédant présentent des faux, cela aiguise la méfiance des gardes-frontières. Et pour finir le bateau est parti à 23h.

À bord, entre les repas à heures fixes, et pour éviter la compagnies de chauffeurs poids-lourds (extrêmement) bourrés, on a principalement fait une cure de sommeil, de longues séances de lecture, et une miseaà jour du blog avec nos aventures en Géorgie. Ça fait parfois beaucoup de bien d’avoir une période un peu hors du temps, où l’on a pas trop de questions à se poser sur les activités possibles. Et puis, cela a permis une transition tout en douceur vers l’Europe. Le passage au large de la Crimée et les commentaires à ce sujet de quelques Ukrainiens à bord qui baragouinaient un peu d’anglais furent également l’occasion d’un bon rappel de la situation politique dans notre pays de destination.

Mais de l’Ukraine, on ne vit pas grand-chose. Débarques à Odessa, on a directement mis le cap vers le Sud-Ouest et la frontière roumaine à quelques 250-300 km de là, tout en longeant la cote de la mer noire. Passée la zone touristique des environs d’Odessa, on s’est retrouvé dans d’immenses plaines agricoles, où les villages se sont faits de plus en plus rares, les markets où se réapprovisionner tout autant, et les moustiques omniprésents. Combinés à une chaleur caniculaire (jusqu’à 40 degrés), ce fut un passage assez pénible. Soit nous faisions du vélo sur des routes ‘asphaltées’ tellement dégradées que les locaux y roulent dans la terre à coté, soit nous étions dans la tente pour nous protéger des moustiques (et donc également y prendre les repas et y faire la sieste entre 13 et 17h quand le soleil tapait). Mais même dans la tente (ou plutôt sous la tente) des insectes s’invitaient, telle Heimlich, la chenille du dessin animé ’1001 pattes’. Et puis le contact avec les gens sur place était glacial, sans un seul bonjour ou geste de la main à notre passage, du jamais vu depuis notre départ. L’exception qui confirma la règle fut un producteur de vin qui nous offrit une dégustation et son terrain pour planter la tente. Notre impression du Odessa Oblast et de cette région de la Bessarabie fut donc plutôt négative… dommage ! ‘Bessarabia’ est également le nom de l’hôtel au bord du Danube, où nous avons dormi la dernière nuit avant de le traverser et de passer en Roumanie, histoire d’avoir une bonne nuit sans moustiques et au frais, et de pouvoir goûter quelques spécialités locales dans le restaurant d’à coté.

Quelques kilomètres avant de prendre le bac pour traverser le Danube, nous sommes tombés nez-à-nez avec Kristine et Jeppe, deux cyclotouristes danois avec qui nous avons vite sympathisé et passé l’après-midi. Comme quoi, les heureuses rencontres sont parfois littéralement au coin de la rue ! L’arrivée en Roumanie et en Union Européenne fut l’occasion d’un dernier petit stress au moment du contrôle des papiers quand une dame nous demanda :’Test covid, vaccination ?’ alors que le site du ministère annonçait que cela n’était pas nécessaire. Après lui avoir répondu ‘No’, elle n’est plus revenue vers nous et on a pu continuer notre route. Bizarre, mais tant mieux ! Sans surprise, de l’autre coté du fleuve il faisait tout aussi chaud, et il y avait tout autant de moustiques. Pas trop le temps de tergiverser, on a directement roulé vers Braila, où le lendemain matin on comptait prendre un train vers les montagnes, notre terrain de jeu favori. Le contraste au niveau de l’accueil était par contre énorme. Grands sourires et gestes de la main nous ont portés des les premiers kilometres. Néanmoins, heureusement qu’un pick-up est passé par là pour nous transporter sur les derniers kilomètres car le jour est tombé plus vite que prévu (ou peut-être avancions-nous moins vite que prévu…). Finalement arrivés a Braila à 23h, et pour mieux se préparer à passer la nuit sur un banc devant la gare ou sur un parking, on s’est dirigé vers la dernière pizzeria encore ouverte à cette heure-là. Cela s’avéra en fait être une pizzeria-bar-hotel-karaoke-salle de fête, la totale quoi. Quand on demanda au barman si on pouvait mettre la tente sur le parking, il dut avoir pitié de nous car il appela son gérant qui nous offrit alors gracieusement une chambre dans l’hôtel. Ô miracle, ô bonheur.

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